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Pour service rendu à la construction européenne...

Le 19 avril, l’ambassadeur de France en Belgique, Mme Claude-France Arnould, me remettait les insignes de Chevalier dans l’Ordre National du Mérite de la République française, pour "service rendu à la Construction européenne, notamment pour mon engagement dans la lutte contre l’antisémitisme et autres formes de discrimination".

Cette cérémonie a été pour moi l'occasion de revenir sur 20 années d'engagement sous forme de remerciement à celles et ceux qui m'ont accompagné hier comme aujourd'hui.

"Ceci n'est pas un discours...Mais quelques libres pensées et mots d'amour"

A l'occasion de la remise des insignes de Chevalier de l'Ordre National du Mérite

pour « services rendus à la construction européenne »

Tout d’abord, merci madame l’Ambassadeur pour votre accueil, merci aussi à madame la Consule Générale avec qui je travaille régulièrement pour les activités de la Maison d’Izieu en Belgique, et cela dans une relation simple, ouverte et de confiance.

Merci évidemment à mes proches, que je tiens à remercier notamment pour tout le soutien que vous m’apportez et pour le simple fait de me supporter dans tous les sens du terme.

Merci aussi à mes amis d’ici, militants aux causes diverses et louables, aux sportifs, aux entrepreneurs, aux élus, ixellois, bruxellois, belges, luxembourgeois et français, notamment le député des français du Benelux, et merci aussi à mes collègues, "officers", chefs et directeurs, quelques fois et même souvent amis qui, comme moi, ont émigré à Bruxelles cette ville-région plurilingue, multiculturelle, quatre fois capitale, parmi les plus cosmopolites du monde, pour participer activement à la construction du rêve européen. Un rêve européen qui, comme cette Bruxelles généreuse, ce grand bazar que l’on aime, traverse une crise profonde, faite de tensions, de bouleversements et, on l'espère, d’opportunités.

Merci à toutes et tous d’avoir pris le temps, et d’avoir fait pour certains tout ce chemin pour venir jusqu’à Bruxelles aujourd’hui, car l’essentiel n’est pas dans la récompense, mais bien dans votre présence.

Finalement, même si ce n’est pas très « gender balanced », je vais me faire disputer par les copains et les copines, merci à Pierre-Jérôme Biscarat et Florent Le Duc, vous qui m’avez initié à la militance et qui continuez à m’accompagner dans nos engagements et nos luttes communes et qui avez accepté de dire quelques mots aujourd’hui.

Florent Le Duc

Pierre-Jérôme Biscarat

Alors, c’est un contexte inhabituel et très protocolaire pour nous réunir, que celui de ce salon très officiel, celui de la République française en Belgique. Certes, c’est celui de la remise d’une décoration individuelle, qui évidemment m’honore, au point de presque me déranger et de me gêner, mais c’est avant tout, et je le pense sincèrement, la reconnaissance des engagements collectifs et divers, pour toutes ces causes communes qui nous unissent, nous rassemblent et nous construisent.

Et ces « causes », ces « luttes », à qui je dédie cette reconnaissance, je voudrais pouvoir en citer et en développer 4 qui me tiennent à cœur :

  • Premièrement celle de l’engagement et de l’action,

  • Deuxièmement celle de la lutte contre toutes les xénophobies et les racismes,

  • Troisièmement celle de la construction européenne,

  • Et quatrièmement celle de l’écologie.

Au commencement si je puis dire, il y a cette cause de l’engagement et de l’action, certains en parleront comme de la citoyenneté.

Je pense en particulier à l'engagement et à l’action sociale, culturelle, syndicale, politique, communautaire et militante désintéressée du gain pécuniaire, et motivée par le bien commun.

Ils requièrent du temps, de l’énergie, des ressources personnelles, des doutes, des insomnies, des grands moments de solitude et ils impliquent souvent des sacrifices individuels et familiaux faits pour des causes ou des idéaux dans lesquels on croit. L’engagement et l’action sont pour moi de vraies valeurs éthiques car ce ne sont pas des postures innées ou naturellement acquises. S’engager c’est décider de prendre parti sur un sujet et de le faire savoir. C’est risquer de se démarquer, de travailler seul ou avec, de se tromper, d’être jugé et peut-être de n’être plus vu qu’à travers cette cause. Et dans le prolongement de l’engagement, il y a l’action, le fait de poser un acte par l’organisation d’un rassemblement public, d’une commémoration, d’une fête publique, d’une conférence, d’une manifestation, d'une marche, de la signature d’un texte, de la mise en ligne d'une pétition ou du lancement d’une association…

Tous les gens qui nous entourent ne comprennent pas ces démarches. Personnellement ces valeurs de l’engagement et de l’action, et leur corolaire la générosité, m’ont été transmises par mon histoire familiale et mon éducation parentale. J’espère que nous serons à notre tour capable de les transmettre à nos enfants.

Ensuite, deuxièmement, il y a la valeur du refus de toutes les xénophobies et les racismes, de ces rejets de l’autre de par ses origines, sa langue, sa religion, sa tradition, sa culture, son orientation sexuelle, son lieu de naissance…

La lutte contre les racismes, l’antisémitisme et plus récemment l’islamophobie, et plus généralement toutes les phobies envers l’Autre, sont l’un des socles des causes décorées aujourd’hui. Ma sensibilité personnelle à ces engagements est certainement née et s'est construite à partir de trois rencontres de personnes ou de lieux.

Tout d’abord, c’est la rencontre avec une histoire familiale et personnelle faite de migrations et d’unions intra-européennes entre l’Espagne, la France, l’Italie et la Suède, comme extra-européenne, par l’alliance entre le Maghreb et l'Amérique du Nord. Ce cosmopolitisme, comme beaucoup d’entre vous, je l’ai dans mes veines, et il coule dans celles de mes enfants. C’est une richesse immense. Ces mélanges font les rencontres, et les rencontres c’est la vie.

Ensuite, cet engagement contre les racismes est né d’une rencontre avec un de ces quartiers « oubliés de la République », un de ces quartiers ghettoïsé, celui des Minguettes, à Vénissieux. C’est un plateau qui surplombe l’un des principaux conglomérats pétrochimiques de France, où on a entassé 25.000 habitants, pour la plupart néo-migrants arrivant des campagnes ou des quartiers déshérités des grandes villes magrébines et d’ailleurs au Sud, dans 250 HLM construits en l’espace de dix ans dans les années 60.

Cette rencontre avec le quartier des Minguettes fut brève, trois années au moment de devenir adulte, le temps d’y faire mon lycée, à Jacques Brel (c’était prémonitoire)... Mais ces trois années furent surtout celles où j’ai expérimenté, sans les vivre pleinement, ce que sont les discriminations. Ce furent trois années où j’ai eu le temps de comprendre ce que c’est que « d’avoir la rage » et de ne pas « avoir d’horizons » au-delà du seul espoir d’être un des 8 élèves à avoir le bac – dont 2 du premier coup - sur les 35 bacheliers de ma terminale B... J'ai eu le temps d'expérimenter ce que c’est que de ne pas avoir d’horizons au-delà que « d’aller user mes fonds de culotte sur les bancs de la fac », comme disait Monsieur Claude Orsini, professeur d’histoire géographie au lycée Jacques Brel de Vénissieux. Orsini était un de ces profs amoureux de son métier « il tenait le lycée à lui tout seul ». Ce corse et pied-noir d’origine, syndicaliste et militant communiste, toujours en tête de manifs lycéennes, a marqué des générations de lycéens de Jacques Brel, dont certains sont passés comme « combattants étrangers » à Guantanamo après avoir serré « la main du diable », celle de Ben Laden, à Kandahar en Afghanistan – je salue ici le travail actuel mené par mon ami Mourad Benchellali -.

Lui, Orsini, comme bien d'autres profs, l’aurait certainement méritée bien plus que moi cette médaille, cette reconnaissance de cette République si imparfaite…

Dans mon cas, par chance cette rage m’a servi… et elle me sert encore cette rage contre les inégalités, la relégation, la misère sociale, éducative et culturelle.

Finalement, cet engagement contre les racismes et particulièrement celui qu’on appelle l’antisémitisme, m’est quelque part tombé dessus par hasard. En effet, j’ai eu la chance de pouvoir calmer cette « rage de la banlieue » tous les weekends dans un petit village du Bugey à une heure de Lyon. Petit village d’où était originaire mon grand-père maternel, Aimé Lachenal. Ce petit village où on ne passe pas mais où l’on vient car la route s’y arrête, c’est le village d’Izieu, où s’est déroulé le drame de la folie antisémite collaborationniste et nazie de l’arrestation de 44 enfants et 7 accompagnateurs par le seul fait qu’ils étaient nés juifs, le 6 avril 1944 au matin. La suite de leur histoire c’est leur déportation très rapide depuis Lyon, vers Drancy puis vers la Pologne occupée. Une déportation vers ce lieu où la civilisation européenne s’est perdue, dans la campagne de Galicie à proximité des grands centres urbains multiculturels, dans la petite ville d’Oswiecim, grand nœud ferroviaire où existaient quelques casernes, vites transformées dans le principal centre de concentration et d’extermination de ces « Autres depuis deux mille ans ». Ces « Autres » qu’étaient, et que sont encore pour « certains » antisémites affichés ou qui s'ignorent, les juifs d’Europe. C’est comme cela que j’ai croisé l’histoire de ces enfants juifs, dont 10 étaient nés ici en Belgique, et dont l’une Nina Aronowicz à moins d’1 km d'ici, rue Verboeckhaven, à Schaerbeek en 1932. Elle pourrait être parmi nous Nina, elle aurait 84 ans…

Alors comme l’expliquait bien le philosophe Karl Jaspers, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les crimes du passé, aussi dramatiques soient-ils, nous qui ne les avons pas vécus, nous n’en sommes pas coupables, mais nous sommes responsables de leur mémoire, et j’ajouterais nous sommes responsables tant de la compréhension historique que l’on en a, que des conséquences qu’ils peuvent avoir sur notre vie présente.

Car cette mémoire et l’histoire des faits, sont autant de leçons et de clés de compréhension qui nous aident à éclairer et à comprendre le présent, mais aussi à imaginer le futur.

Ces mots lénifiants, répétés déjà cent fois, peuvent paraître d’une grande banalité.

Pourtant, quand la stupeur, la rage, la révolte, l’effroi, l’incompréhension, la tristesse s’emparent de nous face à des évènements qui nous dépassent, et dont l’actualité de ces derniers mois a regorgé, allant des attaques terroristes à ces flots de réfugiés fuyant les barbaries, c’est bien dans ces moments-là que l’on va chercher les premiers essais de réponses, les premières pistes de compréhension et de comparaison dans notre passé individuel ou collectif, autrement dit, dans l’histoire.

Ainsi, et c’est ce que l’histoire peut nous enseigner, ces enfants juifs d’Izieu, tous réfugiés car victimes de discrimination et de crimes contre l’humanité, ayant connus les camps d’internement, les passeurs et convoyeurs, les filières, avant de connaître l’enfer du crime industriel par le gaz et les fours crématoires, ils ont aussi un temps pu trouver refuge. Ils ont un temps trouvé refuge, soutien et solidarité auprès, au moins d’une petite partie, quelques familles, peut-être infime partie d’une communauté villageoise qui ne les connaissaient pas, qui ne partageait pas leur langue, qui ne partageait pas leur culture, qui ne partageait pas leurs traditions et qui ne partageait pas leur religion, mais qui les voyaient avant tout comme des égaux en détresse à protéger et comme des parts indivisibles de l’humanité.

Cette histoire des enfants d’Izieu m’a donc amené à m’engager contre l’antisémitisme quand, arrivant sur les bancs de la faculté d’histoire à Lyon, j’ai commencé à entendre parler de ces professeurs et de ces élèves qui niaient tout cela, ce qu’on appelle les négationnistes, et autour d’eux de tout cet univers d'extrême droite qui les accueille, les protège et les nourris. C’est en découvrant cette idéologie que j’ai mis un nom sur l’antisémitisme contemporain et que j’ai commencé à m’engager dans sa lutte.

Cette lutte m’a naturellement amené au lieu de l’extermination qu’a été Auschwitz-Birkenau, et là c’est la troisième cause que je veux mettre en avant aujourd’hui, car c’est bien sur la rampe de Birkenau, que j’ai en quelque sorte rencontré la nécessité du rêve européen. C’est sur la rampe de Birkenau, où tous ces déportés raciaux et politiques sont passés pour la sélection, que je me suis intimement forgé mon radicalisme à moi : un radicalisme pacifique, postnational et européen. Birkenau et les autres camps d'extermination, c’est là où notre civilisation européenne et sa trentaine d’Etats-nations, qui ont été capables de tendre vers le meilleur, ont pourtant été capables du pire. C’est là où en même temps que je réalisais la dimension européenne du crime contre l’humanité, je réalisais le nécessaire horizon, le nécessaire espoir de la construction européenne.

Une construction, et son inverse la déconstruction, que je considère comme des notions essentielles qui organisent, font et nous permettent de comprendre notre monde. Ce monde qui est aussi un construit du langage, du discours et des idées. Avec ces mots qui lui donnent de la chaire, on se rassure finalement sur notre propre condition. On se redonne de l’espoir. On retrouve de l’emprise sur notre monde, rien n’est plus intangible, immanent ou inchangeable, alors que l’actualité a de plus en plus tendance à nous faire désespérer du contraire.

Alors on pourrait croire que je ne me tourne que vers le passé et ses douleurs, mais non, et c’est encore des rencontres et des lieux – Izieu, et surtout la grande nature québécoise et Montréal la cosmopolite… - qui m’ont fait découvrir, un autre des combats qui est décoré aujourd’hui, celui de la préservation de la nature, ou plus justement de la recherche d’une vie plus harmonieuse entre tous les êtres vivants, du plus grand des prédateurs que nous sommes souvent, à l’abeille ouvrière pollinisatrice ou aux bélougas du Saint Laurent.

Paradoxalement penseront certains, c’est aussi la pêche, la chasse que j'ai eue pratiqué, la cueillette de champignons que je pratique encore intensément, qui m’ont aidé à commencer à comprendre et profondément respecter ce vivant qui nous entoure, qui nous fait, et la nécessité de les protéger. Cette sensibilité a certainement joué un grand rôle dans le choix de m’engager activement aujourd’hui dans l’écologie politique, tant en France, en Belgique qu'en Europe. Mais c’est aussi un constat qui m’y a poussé, un constat ou un paradigme qui structure ma vision du monde : la limitation des ressources et partant de là, l’impérieuse nécessité de les protéger de la pollution, de la prédation, de la surexploitation, et in fine surtout de les partager et de mieux les redistribuer.

Cela veut dire concrètement et dans le désordre, partager l’espace en ville, limiter les pollutions en réduisant les émissions de gaz et améliorer la qualité de l'air, mettre fin au danger de l’énergie nucléaire et à son modèle économique centralisateur dépassé, se battre pour un droit à une fin de vie digne, autrement dit le droit à l'euthanasie, se déplacer avec élégance et plus de douceur sur nos bicyclettes, redonner de la place à la nature en ville, lutter contre les intrants chimiques et la modification des cellules vivantes avec le recours aux OGM, promouvoir la biodiversité, ralentir le rythme urbain, encourager l’investissement citoyen, se concerter plus et associer le plus grand nombre de citoyens pour prendre des décisions, aider les plus faibles, soutenir des services publics plus efficaces, innover pour changer et pour créer des emplois et de la valeur ajoutée mais aussi et surtout pour répondre aux besoins de la société.

Finalement, en forme de conclusion d'une intervention, commencée presque à l'heure et qui, pour ceux qui me connaissent bien, ne pouvait qu'être trop longue, je voudrais très modestement partager quelques leçons que ces premières années d’engagement m’ont appris.

Premièrement il m’apparaît que la collaboration et le partage m’ont toujours plus apporté que la compétition et le repli sur soi.

Deuxièmement, le doute m’a tenu éloigné des certitudes, des idéologies et des vérités révélées, autrement dit, il nous force à user de la raison, de la connaissance et de la réflexion.

Troisièmement, j’ai constaté que les identités comme les combats peuvent s’additionner. Elles se construisent et peuvent changer, s’ajouter voire même se soustraire, au fil de la vie. Ces identités sont autant de richesses que de ressources. Alors soyons à la fois tranquilles et fiers de ces appartenances multiples qui nous composent. Nous sommes à la fois uniques et pluriels, mais surtout nous avons tous en commun cette humanité qui nous relie.

Quatrièmement, qu’il n’y a qu’une seule chose que personne ne pourra jamais nous enlever, c’est la connaissance et que cette connaissance, et son corolaire l’apprentissage peuvent et doivent nous suivre tout au long de la vie.

Alors, je terminerai vraiment en nous invitant à « aller à la rencontre », ouvrons-nous aux autres, et notamment à celles et ceux qui nous ressemblent le moins, continuons à construire ensemble, et respectons tout en partageant cette unique terre qui nous accueille, nous et nos enfants.

Bertrand Wert

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