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L'inscription aux ateliers de la Zinneke Parade 2016, c'est parti! Retour sur cette expressi


Alors que les inscriptions pour les ateliers de préparation des Zinnodes pour la Zinneke Parade 2016 viennent d'être lancées, pour le clein d'oeil je mets en ligne un article entièrement déidié à la Zinneke Parade, que j'avais publié en 2009 dans le cadre du projet européen dirigé par l'ONG ARCADE "Culture as a tool for development", et qui comprends des longs extraits de l'interview que j'avais fait de la directrice, toujours en place, de la Zinneke Parade, Myriam Stoffen.


Multiculturalité urbaine et innovation sociale : L’exemple de la Zinneke Parade bruxelloise.

Rencontre avec Myriam Stoffen, directrice de la Zinneke Parade[1]

Se pencher sur un exemple bruxellois pour parler de culture et de développement local, en ayant certainement la prétention de pouvoir en tirer des bonnes pratiques potentiellement duplicables ou transférables au Nord comme au Sud, pourrait paraître à la vue de l’actualité sociopolitique belge quelque peu déraisonnable. En effet, depuis les dernières élections législatives de mai 2007 et la victoire pourtant massive du parti chrétien-démocrate flamand et de son leader Yves Leterme, il n’est pas une semaine sans que les médias locaux ou internationaux ne reviennent sur l’état de santé du Royaume de Belgique. Pour beaucoup, il est entré dans une phase a priori terminale. C’est cependant en se fondant sur cette apparente contradiction sur l’intérêt de la portée d’un tel exemple, que les responsables du projet ARCADE ont souhaité revenir sur cet événement ou, plus justement, sur cette dynamique culturelle qui traverse un projet sociétal statonational belge en mal d’avenir. Un évènement qui, selon sa directrice, est un projet de ville culturel, social, éducatif et artistique. Sous la forme d’une biennale, il rassemble plusieurs milliers de Bruxellois tout au long de sa conception sur une année et demie, et quelques centaines de milliers de plus lors de son déploiement sur l’espace public le temps d’un weekend du mois de mai à l’occasion de la parade des Zinnekes.


Cet article s’articule en trois temps : avec en premier lieu l’exposition du contexte sociopolitique bruxellois dans lequel ce projet s’inscrit ; en deuxième lieu, la présentation détaillée de la Zinneke où, compte-tenu de la richesse des échanges le choix a été fait de citer extensivement Myriam Stoffen ; et, pour finir, une discussion autour des limites et des difficultés à dépasser dans l’idée d’une reproduction de la parade en d’autres lieux.


La force d’un exemple hyper-contemporain

Pour paraphraser Jean-Claude Van Damme, le plus célèbre produit bruxellois de l’industrie cinématographique hollywoodienne : « les recompositions culturelles sont world-wide, au Nord comme au Sud et en sens inverse ». Mais il y a des lieux plus avancés encore dans le processus de transformation des certitudes héritées de l’âge des Etats-nations[2], dont la région bruxelloise paraît bien être partie prenante.


Cette évolution se lit tout d’abord sur le plan politique institutionnel où, à l’image de nombreuses sociétés dans le monde, la décentralisation des pouvoirs est particulièrement engagée. Née en 1989 dans le courant du processus de fédéralisation du pays, la région Bruxelles-capitale a donc pour elle une certaine jeunesse. De cette jeunesse découle un manque compréhensible de légitimité historique qu’elle tend à contrer par une volonté d’affirmation auprès de ses administrés passant par une politique naturellement volontariste. Cela dans un environnement sociopolitique qui se complexifie d’autant plus que cette région est bilingue avec une forme de discrimination positive au profit de la minorité linguistique flamande en termes de représentation politique et de recrutement des fonctionnaires régionaux. Mais aussi dans un contexte d’enchevêtrement des niveaux institutionnels qui explique pour beaucoup la sous dotation budgétaire chronique de l’autorité. Une carence financière qui doit être ramenée proportionnellement à ses fonctions et à ses attributions d’aire urbaine pluri-capitale - voir l’encadré -.


Il est important de rappeler que cette même région institutionnelle est en fait recouverte par les deux communautés belges : la communauté flamande et la communauté française, qui ont toutes deux une compétence en matière culturelle. Si cette région-capitale est donc un lieu de rencontre et d’union évidente entre les deux communautés linguistiques, elle est aussi une zone de frottements et de tensions qui, on va le voir, peuvent aussi avoir des résultats inattendus en termes de production culturelle.


Ce tour d’horizon institutionnel est aussi complexifié par la réalité socioculturelle de la région marquée par une très forte multiculturalité. Elle se symbolise par la diversité et le nombre des nationalités représentées au sein des 19 communes, parallèlement à la force symbolique mais aussi bien concrète, du statut de capitale des institutions européennes qui fait comprendre « Bruxelles » comme la capitale effective de l’Union européenne ; un statut qui est renforcé par la présence de nombreux fonctionnaires européens. Cependant cette capitale ne correspond que très peu aux canons de la « ville européenne ». Très fortement urbanisée et, comme les autres villes de la banane bleue[3], jouissant d’une très forte densité de population[4], elle s’apparente à une ville nord-américaine sur le plan de la répartition géographique de ses populations en fonction de leurs revenus. En effet, bien qu’un fort processus de gentrification[5] semble engagé, elle tend à avoir des quartiers encore assez fortement paupérisés situés en plein centre-ville[6].


Dès lors, avec cette définition plurivoque de l’urbanité bruxelloise on peut comprendre la difficulté à construire une politique culturelle tant les publics sont variés culturellement et socialement. Pourtant, non sans opportunisme, cela semble avoir favorisé l’émergence d’une dynamique culturelle, mais pas seulement, revendiquant une certaine autonomie vis-à-vis de l’institutionnel. En tous les cas, une dynamique qui semble largement profiter de ce flou ou de ce bazar bruxellois, comme dirait Arno le chanteur-compositeur polyglotte, résidant des bords de Senne[7].


Dès lors, sans exclusivité et toutes proportions gardées, le contexte fait de l’exemple de la Zinneke un révélateur privilégié et hyper-contemporain des tensions et des recompositions à l’œuvre sur l’ensemble du globe. Elle se développe entre traditions héritées et nouvelles cultures urbaines. Elle se réalise entre communauté nationale et diasporas économiques ou culturelles en voix de sédentarisation, entre mono-identité et multiculturalité ou cosmopolitarisme assumé et revendiqué. Autant de dynamiques qui se retrouvent dans la plupart des réalités urbaines de la planète, avec peut-être ici un intérêt supplémentaire, dans le sens où si la situation sociopolitique belge fait preuve d’une fragilité certaine, elle témoigne aussi d’une étonnante capacité d’innovation institutionnelle tendant à prendre en compte la diversité des acteurs culturels, linguistiques et communautaires en présence ; le tout a pour ambition de renouveler les cadres de la démocratie belge. Ainsi, il s’agit donc bien là, au moins sur le plan théorique et en pleine conscience des limites d’un exemple toujours emprunt de caractères propres et uniques, de prétendre nourrir les réflexions et les intentions similaires développées à Lagos ou La Paz, là, à Montréal ou Londres, ou encore là-bas, à Djakarta ou New Delhi.


Une dynamique culturelle et une méthodologie conformes à l’urbanité bruxelloise : complexe et diversifiée

Le projet Zinneke est né avec le XXIe siècle ; précisément il est une des dynamiques résultant de « Bruxelles 2000 Capitale européenne de la culture ». Myriam Stoffen précise que

« c’est un projet qui est né en 2000 avec la volonté des acteurs culturels de créer des liens. (…) Le projet est né à partir d’une proposition de faire un carnaval à Bruxelles qui se construise avec des artistes qui essaient de faire un travail un peu plus poussé avec les acteurs dans les quartiers de Bruxelles ; c’est l’élément de base. A partir de là, ils ont invité différents acteurs qui montaient des projets de l’art de rue ou des parades. (…) Ils ont tous été des sources d’inspiration ».

Mais plus que des prédécesseurs, celle qui pour sa cinquième édition se décrit comme un projet socio-artistique :

« va aujourd’hui plus loin que les institutions classiques parce que ce n’est pas que de l’artistique, c’est aussi du socioculturel, du social, de l’enseignement, etc. C’est très vaste comme ponts qui sont construits entre différents secteurs. (…) De plus, c’est un projet que les gens peuvent s’approprier car il est basé sur la participation populaire ».

En effet, au centre de l’approche des promoteurs de la Zinneke se trouve la participation des Bruxellois. Cela passe naturellement par la mobilisation des ressources existantes, bien qu’à l’image d’autres métropoles millionnaires il soit difficile de recenser et d’actualiser l’ensemble des opérateurs potentiellement mobilisables :

« Il n’y pas un vrai inventaire complet de toutes les institutions qui sont à disposition sur Bruxelles. Ce serait une idée ; mais alors ce serait encore un regard très institutionnel et très précis sur un secteur, et tout ce qui est transdisciplinaire, interdisciplinaire et intercommunautaire ou moins formel prendrait le risque de ne pas être représenté. En effet, de manière générale dans un projet comme Zinneke, l’attitude à adopter, c’est de dire que l’on touche à un petit groupe qui se compose de 200 organisations, et on ne compte pas du tout ceux qui donnent des coups de main. Et 200 c’est rien quand on regarde le potentiel de Bruxelles. Pour chaque biennale l’enjeu est donc de toucher de nouvelles organisations ou celles avec lesquelles nous ne travaillons pas assez ».

Les chiffres avancés pour le bilan de la Zinneke 2008 sont de 177 associations partenaires pour 185 artistes, 2284 paradeurs, 70 000 personnes dans les rues pour les 2h15 de défilé[8]. Un « coming-out » dans l’espace public qui paraît bien bref par rapport au temps de préparation et à la méthodologie inclusive et compréhensive appliquée. Car, au-delà des acteurs institutionnels, c’est certainement du côté non-institutionnel que le travail de mobilisation semble le plus intense et le plus original.


Une méthodologie basée sur la rencontre, l’hybride et le métissage, tel un projet de ville

Au départ, il y a un contexte plus complexe que la moyenne des capitales du monde avec un bilinguisme institutionnalisé qui n’est pas vraiment vécu dans la réalité urbaine, puisqu’il y a environ 10 à 15% de Bruxellois qui se définissent comme néerlandophones, alors que pour certains observateurs l’anglais est la deuxième langue la plus parlée à Bruxelles après le français[9]. Comme l’admet Myriam Stoffen, la collaboration sur le plan artistique entre les institutions francophones et néerlandophones s’accroît doucement :

« Les dernières années en effet il y a de plus en plus de rapprochements avec les différents projets et on voit la création de réseaux, mais aussi avec des accords culturels entre différentes institutions. (…) Mais les collaborations entre les acteurs doivent encore être renforcées à Bruxelles. Au final, il n’y pas autant d’organisations qui travaillent de façon bilingue sur les questions artistiques, c’est surtout sur des projets ».

Et c’est aussi le choix de la Zinneke, un choix que l’on pourrait comprendre comme philosophique, avec la revendication du plurilinguisme comme valeur à part entière. Mais aussi un choix lié à la structuration des politiques publiques culturelles et artistiques, principalement menées par les communautés française et flamande, et qui ont l’originalité de se croiser et de se superposer en région bruxelloise. Cela explique l’aspect bicéphale de la direction et de la structuration légale du projet Zinneke

« qui est porté par une structure de coordination de type associatif sans but lucratif, qui en Belgique s’appelle une ASBL[10], avec en fait deux associations, une francophone et une néerlandophone. Elles ont une convention de co-production entre elles, et elles ont exactement le même CA et la même AG, mais deux Présidents différents : dans une structure, la personne francophone assure la présidence et dans l’autre structure il occupe la vice-présidence, et inversement pour la personne néerlandophone ».

Il s’agit donc d’une volonté de bilinguisme qui se confronte à la réalité sociologique bruxelloise où le flamand n’est pas la lingua franca, comme il peut l’être dans l’équipe de gestion de Zinneke où, en effet,

« au quotidien, bien que l’on ne soit pas tous bilingues, on fonctionne de manière tout à fait bilingue. La majorité de l’équipe est francophone mais on fait de plus en plus un travail d’apprentissage du néerlandais, car s’ils ont tous eu 7 ou 9 ans de cours de néerlandais à l’école, la plupart ne réussissent même pas à avoir une conversation simple ».

Le métissage et l’hybride ne sont donc pas des postures aisées à tenir et à assumer. Il faut un volontarisme certain de la part des Bruxellois pour l’atteindre, que ce soit de la part des habitants, des autorités urbaines ou bien encore des responsables de la Zinneke. Si bien que cette ambition ressemble pour Myriam Stoffen à un véritable projet urbain, dans le sens ou elle envisage de faire vivre-ensemble des personnes qui n’ont que fort peu de choses ou d’identités pré-politiques[11] à partager :

« C’est un projet artistique, que j’appelle aussi un projet de ville, qui monte ses projets via un processus long et intensif d’un an et demi par la mise en réseau d’habitants, d’institutions, d’organisations, d’associations très diverses à travers les barrières sociales, linguistiques et culturelles, afin d’essayer que de ces gens, par leurs envies, par des enjeux précis, par des partenariats, émerge une idée d’un projet à monter et à encadrer par des artistes professionnels. Que ces dynamiques aboutissent - après de longues phases de réflexion, de création et d’ateliers complètement créés sur mesure à partir des idées initiales - à des projets qui tous ensemble sont montrés dans une très grande parade sur l’espace public. (…) C’est donc un travail avec la réalité urbaine, avec tous les acteurs de la ville, à travers les frontières, par un long travail de collaboration encadré par les artistes avec un travail montrable dans l’espace public sous la forme d’un grand évènement populaire ».

On l’aura compris, cette initiative devient un projet de ville de part le contexte hyper urbain (6500 habitants au km²)[12] dans lequel il s’inscrit, mais aussi et surtout parce qu’il ambitionne le temps d’un processus de donner un sens, un logos[13] ou un but commun à des citadins rassemblés, non pas dans une entité administrative, forcément froide et menée par sa propre logique, ni même par un projet politique rythmé par une légitimation élective réservée aux citoyens du lieu en âge et en droit de voter, mais il va plus loin en essayant de gommer ces distinctions d’origines, d’âge et de droit. Cette parade offre potentiellement un projet commun à tous les occupants de l’espace urbain en usant d’une rationalité essentiellement inclusive et constructive, dans le sens où elle ne repose pas sur des identités fixes et prédéfinies. Elle se définit donc plutôt sur le tas ou au fil de l’eau en fonction de celles et ceux qui y prennent part.



Participation et partage créatif : du quartier vers un horizon cosmopolite

Si le lieu et l’âme du projet participent à cette création du nouveau, en quelques sortes à une dynamique perpétuelle d’innovation sociale, à comprendre comme une nouvelle façon de travailler et d’agir dans la société basée sur une approche compréhensive, la méthodologie et la philosophie d’action reflètent aussi ces intentions.


Ainsi, le séquençage sur deux ans de l’organisation d’une parade Zinneke (une biennale), de juin de la première année à la fin mai de la deuxième année, se partage en cinq phases :


1. Tout commence par la phase d’évaluation d’une biennale qui, sans être très complexe sur le plan méthodologique, semble être un élément central dans la description générale que donne Myriam Stoffen de l’organisation d’une parade :

« On fait le bilan des éléments centraux sur lesquels on doit travailler parce qu’il y a évidemment des manques. A partir de là, on réoriente le projet pour la prochaine biennale en questionnant les objectifs, les principes de base mais aussi les méthodes de travail et les accents que l’on va mettre pour la prochaine biennale. Dès que cela est clair, on définit les priorités en dehors du travail global qui reste stable, et alors on a la première phase d’ouverture sur l’espace public par l’appel au thème ».


2. Suit la phase d’appel au thème de la prochaine parade : Pour la parade 2010, les résultats de cet appel ont été publiés au moment où la rédaction de cet article s’achevait – soit en mars 2009 -. Au moyen de mailing lists accompagné par les réseaux de mobilisation dans les quartiers, un vote électronique a été réalisé totalisant 675 votants[14]. Les propositions de « chao », « le cercle » et « à table » étaient avancées ; et c’est la dernière qui a été retenue. Ainsi, la proclamation a permis de lancer le processus participatif : « Dès que le thème est connu, on commence la deuxième phase, on le rend public et on commence à faire l’appel à participation », qui une nouvelle fois débute par un recueil de doléance, tel un moment d’ouverture des esprits et de stimulation des imaginaires.


3. Vient ensuite la phase de relance :

« C’est une importante phase de prise de contact et d’écoute, un long travail qui démarre aux mois de mars-avril de la première année, avec des grandes réunions dans le plus grand nombre de quartiers de Bruxelles. A partir de là, nous rencontrons un maximum de monde individuellement pour bien écouter les motivations de chacun : « pourquoi veux-tu participer » ou « qu’est-ce que tu veux faire ? ».C’est important pour mieux suivre le projet par la suite. Tout l’enjeu de la première rencontre c’est d’essayer de pousser le plus loin possible la formation de partenariats entre acteurs qui ne se connaissent pas, pour que des publics, des associations se rencontrent, afin qu’ils explorent un travail artistique qu’ils n’ont pas encore fait, pour qu’ils creusent un enjeu local dans leur quartier ou dans la ville. On apprend ce que l’on veut faire pour ensuite passer à la phase de réalisation des idées développées. Pour chaque discipline on envisage les ateliers qu’il faut monter, généralement à partir de septembre de la première année.

En effet, l’idée de tissage de liens est essentielle et c’est aussi pour cela qu’on prend autant de temps à écouter ce que les gens qui veulent participer ont à dire. C’est ces projets qui créent un cadre où tous ceux qui ont envie de travailler sur des expérimentations de type social, culturel ou artistique avec des gens qui ne se rencontrent pas d’habitude peuvent le faire. Ils ont la possibilité d’explorer des champs qu’ils ne connaissent pas - du type territorial - afin de travailler sur des enjeux à l’échelle du quartier ou de la ville entre différents groupes et différentes communautés. Au total, l’essentiel est que pendant un an et demi ils testent des choses qui peuvent aussi échouer, mais cela ne pose pas de soucis, cela fait parti de la démarche ».

Un travail qui s’accélère une fois les consultations des participants potentiels achevées. Des lieux pour accueillir des ateliers sont alors mis à disposition par différentes organisations ou communes partenaires. Dans cette même phase, la relance artistique se fait via un grand projet d’exposition monté avec une première série d’artistes susceptibles de travailler pour l’édition Zinneke 2009-2010. Vitrine de la créativité Zinneke, une vingtaine d’artistes développe des installations, des variations originales autour du thème de la Zinneke Parade 2010 « A table », cela afin d’ouvrir les imaginaires des futurs participants tout en annonçant le thème au grand public.


4. A partir de janvier de la deuxième année c’est la phase de réalisation :

« Où tout ce qui a été inventé commence à se construire ; c’est la phase concrète d’une certaine façon. (…) Aussi, comme on souhaite avoir un résultat artistique qualitatif, à ce stade l’investissement dans l’encadrement professionnel et artistique de tous les groupes s’accélère. Pour cela, on se fait une règle de payer correctement tous ces artistes professionnels. En tous les cas on paye un coordinateur artistique par Zinnode, et on a plus ou moins 20 ou 30 coordinateurs artistiques par biennale. En fonction de tous les partenariats qui se construisent on essaie de voir s’il n’y a pas des partenaires qui peuvent mettre à disposition un coordinateur organisationnel, une salle ou un budget. (…) Donc en fait, on rêve d’abord, ensuite on évalue combien coûte ce rêve et enfin on regarde de manière solidaire par projet ce que tout le monde peut apporter ; après on regarde ce qui manque, et après on aide ce partenariat porté par une Zinnode à trouver les fonds nécessaires. Si le groupe a besoin d’aide, nous venons en support en fonction de nos moyens, mais pas de manière linéaire ; c’est du sur-mesure. (…) Pour ce faire, lors de chaque biennale on ouvre des espaces de production temporaire, généralement dans des lieux abandonnés dans quatre ou cinq endroits de la ville. C’est une manière de réinvestir des espaces vides – des friches ou des chancres -, et à la fois de créer la possibilité d’une dynamique locale de rencontre entre Zinnodes, entre artistes, entre habitants. Là aussi cela donne des dimensions autour du projet qui sont très chouettes. A partir de là naissent souvent des réseaux de gens et d’amis pour la vie ».


Mais si ces processus humains semblent être centraux dans l’approche choisie, ils s’accompagnent d’une volonté d’encadrement légal ou de juridicisation et d’institutionnalisation des rapports. Cela se remarque en particulier dans les rapports entre l’unité centrale de la Zinneke – son équipe de coordination et ses deux asbl - et les unités décentralisées que sont les Zinnodes dans les quartiers. Pour les responsables de la Zinneke, le tout participe à ce processus d’empowerment ou de responsabilisation et de prise de pouvoir par les acteurs de la société civile, qu’ils soient initialement organisés ou non :

« Tout cela se construit de manière concertée dans le cadre d’un partenariat avec la Zinnode. Cela fait aussi parti du projet d’aider les Zinnodes à apprendre à monter leur projet. Notre objectif est d’éviter que l’on arrive à un système où la prise d’initiative dépend d’un professionnel qui va vers les gens. On souhaite que les gens apprennent. On veut que l’expérience d’un an et demi permette aux gens d’apprendre eux-mêmes à monter des projets, ce qui d’ailleurs, dans certains cas, abouti à ce que des associations se montent. Par exemple aujourd’hui des associations nées dans le cadre de Zinneke montent leur propre groupe et organisent des festivals elles-mêmes. Ce processus de passage d’information, d’échange se situe à tous les niveaux. Pas seulement sur le plan artistique, mais aussi en termes de rencontres humaines afin d’apprendre à un acteur à être actif dans la vie et à savoir comment le faire. C’est donc là où l’on a un travail d’éducation permanente qui se fait de part le constat d’un grand manque et d’une grande demande. Cela marche parce qu’on le fait dans le vif ».

La dynamique de la Zinneke permet donc d’initier des projets a priori pas directement liés à l’essence de la parade. Aussi, elle se rapproche en ce cela d’un vrai projet sociétal et urbain, en créant du lien là où, naturellement, il n’y en avait pas.


5. Finalement, avec les mois de mars-avril de la 2ième année on entre dans la phase de répétition et de sortie dans les quartiers :

« car on essaie aussi que chacune des Zinnodes organise au moins une répétition générale, et qu’une « soumonce » (mini-parade) soit organisée dans le quartier de la Zinnode. Elle correspond à une première sortie pour que le groupe se montre dans son propre quartier, et pour que le quartier puisse s’approprier son projet. Mais il y a des projets qui ne sont pas liés à un quartier, alors certains quartiers organisent des fêtes d’habitants pour inviter des groupes d’ailleurs (...) c’est très important qu’il y ait cette double appropriation avec le quartier d’une part et le projet au niveau de la ville d’autre part, et finalement avec l’ensemble plus général du projet Zinneke. Ceci crée une tension à l’échelle régionale entre le local, l’urbain et le cosmopolite à la fois, et c’est très important. Le fait que les quartiers soient tellement importants dans le projet permet d’agir sur la notion de développement des quartiers sur le plan social ou culturel. Dans le même temps pour nous c’est important d’éviter les réactions de « patriotisme de quartier » car ce serait un nouveau renfermement, et cela ne nous intéresse pas. Ce qui est important c’est cette double appropriation avec le local et en même temps avec quelque chose qui les reconnecte avec le monde en général ».

Une forme d’aller-retour entre le micro et le macro supposément productrice en termes de représentations et créatrice d’identités.


Les limites de ce projet et de ses potentialités de transférabilité

Fort de cette description détaillée du processus Zinneke, rapprochons-nous maintenant des possibles limites de ce projet et de ses potentialités de transférabilité autour de quatre aspects essentiels avec, premièrement, une volonté de fluctuation du contenant et du contenu de la parade en fonction de l’évolution socioculturelle de ses participants sans qu’une définition précise de ce qu’est un Zinneke ne soit donnée – voir l’invocation d’une « Third Zone » -. Deuxièmement, une autonomie structurelle et financière qui n’est jamais garantie du fait d’un choix assumé de ses promoteurs ; le tout dans un contexte institutionnel belge hautement incertain. Troisièmement, la centralité d’un travail réflexif intensif poussant à l’auto-évaluation et à la remise en cause perpétuelle qui, transposé dans un contexte de faible confiance sociétale ou de déficience des institutions publiques, a tous les risques de ne pas aboutir tout en remettant en cause le processus créatif. Enfin, quatrièmement, l’ambition de changement de paradigme représentée par une sobriété dans la consommation énergétique et par un travail de valorisation et de recyclage des matériaux. Un défi qui n’est pas toujours simple à imposer dans un univers artistique et culturel où ces enjeux semblent percoler lentement.


Entre identités/solidarités mécaniques et identités/solidarités organiques : l’entremise de la « Third Zone »

Partant des prémices évoquées de l’horizon cosmopolite de la Zinneke, il est tentant de penser que les particularités culturelles des différentes communautés de la ville s’expriment aussi dans la parade. Hors, au contraire, Myriam Stoffen insiste sur le fait que l’on retrouve ces particularités mais

« de manière très partielle car l’une des idées centrales de la parade est que les gens ne restent pas sur leur folklore. Donc cela peut-être un point de départ, pour quelque chose de nouveau à construire avec d’autres, comme un métissage ou un hybride. C’est très souvent le cas pour certaines communautés comme les latinos, certaines communautés africaines ou les communautés asiatiques même si on arrive difficilement à toucher ces dernières.. Pour certaines communautés, c’est très clair, telles certaines communautés africaines : leur point de départ c’est des rythmes de base ou des chants et des costumes. Mais c’est par excellence le travail de partenariat et de rencontre avec les artistes qui intègre et qui pousse plus loin ; et c’est une évolution importante. C’est comme de passer de l’Etat-nation au réseau mondial : c’est passer de l’identité nationale ou communautaire vers quelque chose qui est un vivre ensemble comme un projet ».

Ici nous percevons de nouveau l’importance de la construction et de l’innovation sociale en temps réel, en fonction des ressources humaines à disposition et avec toute leur profondeur historique. Et Myriam Stoffen d’ajouter :

« Donc ce projet est toujours à inventer. C’est toujours un espace vide entre les gens où tout le monde doit mettre un petit bout de soi. Le résultat dépasse ce que cela aurait été s’il y avait eu une classe sociale dominante, une manière de vivre dominante, voire une culture dominante. C’est donc quelque chose d’hybride et qui appartient à tout le monde. C’est une sorte de « Third zone » qui est créée, qui fait que les gens sont obligés de faire un projet. L’identité est donc envisagée comme un imaginaire d’une ville à construire comme un projet collectif. C’est une force qui se développe pendant un an et demi, soit pendant suffisamment de temps. Mais en même temps il est suffisamment court pour que cela empêche les gens de se lasser. Parallèlement, le côté éphémère est très important, car ce n’est pas un modèle qui doit devenir dominant pour tout le monde, il ne s’impose pas. C’est très important aussi que les gens aient leurs racines, leurs folklores et leurs traditions ; mais dans le projet Zinneke, ils ont aussi cette expérience de vivre les différentes dimensions. Cela leur permet d’aller plus loin dans l’expérimentation du vivre ensemble dans un contexte urbain qui, avec le vingt et unième siècle, ne va pas cesser de croître ».

Et ce flou ou cet entre-deux identitaire se retrouve aussi dans la structure de la Zinneke. Sur de nombreux points, et non sans logique, celle-ci paraît être une métaphore de la situation institutionnelle belge. Afin de survivre au système, elle a dû apprendre à s’en jouer, tirant finalement une valeur ajoutée de l’imbroglio apparent.


Une organisation légale adaptée à la pluralité et à l’exclusivité des ressources qui « est typique de la Belgique, avec toutes ces institutions qui forment un puzzle complexe, qui est lourd, mais qui en même temps offre de très nombreuses opportunités ». Si tout semble être dit dans cette seule phrase, pourtant l’élément particulièrement intéressant pour l’enjeu du transfert des bonnes pratiques pour certains contextes du Sud réside dans la stratégie qui gouverne l’action d’un opérateur dans un environnement complexe :

« Il y a une grande différence entre la réalité institutionnelle, et la réalité vécue par les acteurs eux-mêmes. Dans les faits, tout le monde cherche son chemin, c’est la politique de la débrouillardise qui domine. Le côté positif est qu’un projet comme le notre, qui est à la croisée de tellement de carrefours, échappe toujours à la contrainte et on n’a jamais une main prise à 100% sur le projet, car il appartient à tout le monde. Mais c’est une contrainte structurelle qui nous vient de la nature du fonctionnement des politiques culturelles ici en Belgique car, au niveau des communautés, une association qui se fait reconnaître par une communauté dans le cadre d’un « plan culturel » pour avoir un revenu et une subvention culturelle doit « choisir son camp ». En découle l’obligation pour une association qui veut recevoir des subventions structurelles de se faire reconnaître par une communauté. (…) De notre côté, sur le plan du suivi on essaie d’avoir un équilibre équitable pour que du côté francophone et néerlandophone, sur le plan financier, on essaie d’avoir un équilibre entre les deux « fifty-fifty ». Mais nous refusons de rentrer dans un jeu d’équilibre parfait, jouant sur une compétition entre communautés. On insiste donc continuellement sur le fait qu’il serait certainement intéressant de se mettre tous autour de la table afin que les parties prenantes puissent discuter ensemble du projet. Mais certains politiques considèrent qu’ils n’ont pas à assister à ces rencontres. En effet, certains considèrent de façon très louable qu’ils ne doivent pas intervenir. Ils se contentent de créer un cadre politique afin que l’administration fasse son travail et puisse suivre le projet Zinneke. D’autres ont des motivations moins louables à ne pas suivre notre travail ».


En dernière analyse, cette tension semble particulièrement productive à en croire Myriam Stoffen. Ainsi, la complexité institutionnelle devient étrangement garante ou offreuse de libertés :

« Nous avons de ce fait une autonomie totale, c’est capital. Car si je suis très critique sur le fonctionnement des institutions, dans le même temps je constate tout ce que l’on peut faire et là je compare avec d’autres acteurs ici en Belgique ou même à l’étranger. Il faut reconnaître que tout ce que nous pouvons faire c’est génial. Nous avons une très grande liberté de questionnement et de prise de position critique. Si ce n’était plus le cas je quitterais le projet et beaucoup de gens avec ».

Il s’agit donc d’une capacité réflexive qui prend corps dans la Parade car, comme cela a été présenté, la première étape de chaque Zinneke est ponctuée par ce moment d’évaluation grandeur nature.


Une démarche réflexive, évaluative et autocritique qui se retrouve dans l’idée du projet

Myriam Stoffen insiste fortement sur ce point en précisant que :

« C’est un élément très important d’arriver, à chaque biennale, à la structurer à partir d’une analyse très précise de ce que l’on a fait lors de la précédente. Pour un projet comme Zinneke qui est dans l’humain pur, c’est une question essentielle que d’essayer d’aller le plus loin possible dans la création d’un espace où les gens peuvent se rencontrer à partir d’une envie ou d’une coïncidence. Cette question nous pousse à aller le plus loin possible dans la participation, pour mettre les gens ensemble et pour ne pas accepter qu’un centre culturel retravaille avec les mêmes acteurs sans s’intéresser à aller trouver de nouveaux participants ; car les non-participants nous intéressent. De fait, toujours nous forcer à nous ouvrir à cette démarche évaluative, c’est une des premières choses que j’ai commencé à faire quand je suis rentrée dans l’équipe ; aussi notamment parce que dans les dossiers de subventions on démarre souvent avec les objectifs et les indicateurs de mesure. Depuis 2002, cela a été fait de manière systématique et certaines années cela a été fait de manière plus intensive. Donc au-delà de l’évaluation au quotidien de comment fonctionne l’équipe, on met en place une évaluation plus réflexive ou analytique à la fin de chaque parade par des processus de rencontres orales, avec des réunions collectives et/ou individualisées, ainsi qu’avec un travail écrit. Cela a notamment été le cas après la biennale de 2004 qui a été un tournant difficile pour la structure d’organisation. C’était alors légitime d’aller plus loin à ce moment là et on a produit des questionnaires de plus de trente pages. Inversement, en 2006 c’était moins nécessaire donc cela a été plus léger. C’était alors plutôt une check-list d’une page avec quelques commentaires que remplissaient tous les partenaires, tous les artistes et tous les coordonnateurs. Aussi, pour la première fois en 2008, nous avons fait un questionnaire pour les participants mais qui n’a pas vraiment marché. On a eu des réponses mais il est arrivé beaucoup trop tard. Nous ne sommes pas parvenus à informer tout le monde au départ de la tenue de l’évaluation ».


On constate donc que l’idée d’évaluation est loin d’être en dehors de la culture Zinneke. Elle semble même être essentielle dans la méthodologie et la philosophie d’action. Comme si ses promoteurs voulaient en permanence s’autocritiquer, s’auto-décentrer et briser toutes leurs certitudes. Au point que la directrice laisse entendre que la perspective d’une évaluation tout au long de la parade fait partie des objectifs :

« Il faudrait que les participants puissent suivre en temps réel l’évolution de ces éléments d’évaluation comme un journal. Pour la première fois avec cette édition, on a lancé le processus quatre mois avant la parade mais c’était encore trop tard. Et toutes les autres fois c’était après la parade, ce qui veut dire que l’on obtient un retour « reconstruit » parce que les gens ont oublié, ou bien ils ont réussi à dépasser les problèmes ou, inversement, ils n’y sont pas arrivés. Donc cela devient le centre de toutes les frustrations, donc on manque de nombreuses étapes d’évaluations dans le processus. Pour cette raison, c’est très important de l’approfondir ; mais jusqu’à présent nous n’avons jamais eu assez de personnes pour le réaliser. Mais le travail d’évaluation que l’on fait, si je le compare à d’autres projets, est très intensif. Il se traduit à la fin par une note de synthèse sur le projet qui est restituée à tous les participants et aux partenaires du projet ».

Une intention certainement louable en apparence mais qui rencontre la difficulté majeure de la volonté des participants tout comme celle des limites du médium ; tout le monde ne possède pas l’écrit ou la compréhension suffisante de l’enjeu : « c’est en général très difficile d’intéresser les participants et surtout les artistes. Ils n’ont pas forcément l’habitude de cette façon de travailler ou tout simplement d’écrire. Donc ce qui se passe c’est que les coordonnateurs artistiques ont des entretiens individualisés avec tous les artistes pour faire ce travail. Mais on fait d’office avec eux une réunion individuelle supplémentaire afin d’aller au bout de l’analyse, car les artistes sont quand même des piliers ».


Autre souci et autre enjeu qu’est la limitation potentielle des imaginaires par une grille d’évaluation ex-ante[15] qui pourrait trop cadrer et rebuter le travail créatif. D’où la question classique de comment mesurer un travail essentiellement qualitatif avec des données quantitatives souvent plus simples à déchiffrer et à communiquer.

« En effet, c’est aussi un argument qui pousse non pas à une évaluation avant, qui pourrait trop cadrer les créateurs et limiter les imaginaires, mais plutôt après. Par contre pour moi [Myriam Stoffen], cela a toujours été clair qu’il y a d’autres manières de récolter des témoignages beaucoup plus qualitatifs sous forme de chronique, mais nous n’avons pas de budget propre pour le faire. Et, en même temps, nous n’avons pas d’obligation de le faire. Mais quand on incite tout le monde à le faire, généralement les gens sont toujours très contents de l’avoir fait car cela leur permet de poser un regard critique sur leur travail. C’est généralement fructueux ».

Et cette attitude critique et réflexive par rapport au travail fourni est aussi partagée par l’équipe de coordination qui, par ce choix de la logique de projet, se met en perpétuelle fragilité ou incertitude, un peu à l’image du corps urbain ou de la ville avec laquelle la Zinneke entend interagir.


Une évaluation source de difficultés

Evidement tout cela ne se développe pas sans différents niveaux de problèmes :

« Le premier niveau c’est que l’on reste dans une logique de projet et donc d’éviter les pièges d’un fonctionnement institutionnel. Autrement dit l’idée est d’éviter de rentrer dans des recettes de fonctionnement en reproduisant les mêmes modèles, les mêmes méthodes de fonctionnement, de ne plus se questionner et d’avoir une équipe de coordination avec des gens qui ne sont pas passionnés par la ville, ou qui sont passionnés par le travail artistique, mais pas par la création participative. Car la Zinneke est vraiment basée sur un procédé de travail de type création artistique participative. Ce ne sont pas les artistes qui dessinent les projets et à partir de là les participants qui exécutent, c’est vraiment à partir de ce que les participants amènent que les artistes doivent construire et pousser plus loin un projet commun, et ce de manière interdisciplinaire (ce qui n’est pas toujours évident). Donc il faut de l’amour pour ce type de démarches artistiques, il faut beaucoup d’amour. Il faut aussi avoir envie de travailler avec une très grande empathie et avec une très grande patience vis-à-vis de la diversité des acteurs, parce que très souvent dans le quotidien il y a beaucoup d’organisations qui souhaitent inclure le projet Zinneke dans leur rapport d’activité, c’est valorisant.

Le deuxième niveau de problème, c’est qu’il semble que ce soit bien plus facile de rester sur des schémas connus, sans trop de risques, et c’est aussi légitime, mais à la fois nous sommes toujours dans une position de compréhension de la réalité, d’où l’importance dès le début de bien écouter les participants, pour bien connaître leur réalité et éviter ainsi qu’ils soient emportés par l’enthousiasme ou la grandeur d’un projet et qu’ils finissent par « s’écraser ». Il faut vraiment avoir une sensibilité profonde et dans le même temps avoir l’audace d’essayer de casser les schémas, de questionner, d’être doucement ou plus fortement critique. C’est un esprit qu’il faut avoir pour éviter de rentrer dans un certain automatisme qui ferait que notre projet deviendrait une institution qui ronronne et qui fait toujours la même chose. Là la qualité de l’équipe est vraiment cruciale, il faut vraiment qu’elle ait envie de bousculer le monde. Enfin, l’autre côté institutionnel que l’on doit éviter c’est d’arrêter de prendre des risques et d’arrêter d’expérimenter ».

Une nouvelle fois la problématique de la contrainte évaluative face à la fertilité du travail créatif est avancée.


Vient finalement un autre enjeu qui transcende toute la parade et qui démontre encore son hyper-contemporanéité ou son inscription dans les grands enjeux de société actuels ; il s’agit de l’enjeu lié à la problématique du développement durable et de la limitation des ressources. Il se matérialise dans la Zinneke, au moins dans les intentions, par un changement de paradigme représenté par une sobriété dans la consommation énergétique et un travail de valorisation et de recyclage de matériaux. Myriam Stoffen explique que

« à un autre niveau, c’est très important que le projet reste une utopie de ville, qu’il reste un projet de fête populaire urbaine, et qu’on ne se laisse pas séduire par l’emprunte d’un « city marketing » qui existe aussi à Bruxelles. Si c’est un projet qui a un rayonnement national et international, ce qui est très bien, il ne faut pas que cela devienne pour autant un projet esthétique avec un beau formatage esthétique très précis. Cela doit rester un projet qui défend, un échange entre « êtres humains » au sens strict, sans qu’il y ait forcément un échange de type consumériste, commercial et passif. Un échange collectif de regards ou de points de vue est possible. Il y a quelque chose d’extrêmement fort et de très beau qui sort de là. C’est un projet qui en direction du grand public, et cela doit absolument rester intact, sinon cela devient un projet où il y a des grandes publicités partout avec des grands baffles et des grands podiums. En effet, les moteurs à explosion et les amplificateurs sont interdits dans la parade. C’est un aussi un choix car on travaille sur un projet qui peut montrer ce que tu peux faire quand tu utilises à 100% de « l’human energy », et cela c’est vraiment par amour pour la ville. On l’aime donc on la respecte. De cette manière là, il faut réfléchir sur des formes qui sont agréables pour un grand public. C’est un évènement, c’est certain, mais il se pose à contre courant des événements classiques que l’on nous propose généralement avec le recours à des bureaux d’événementiel, avec qui on refuse d’ailleurs de travailler. La Zinneke est un peu un événement de la ville sans émission de CO2, sauf que pendant un an et demi on peut difficilement tout contrôler à ce niveau là. Mais c’est vrai qu’au quotidien il y a une attitude de base pour faire attention à nos impacts, en travaillant avec des matériaux de récupération par exemple. Et de voir comment l’autre fait, cela pose des questions et éveille les consciences. D’ailleurs, beaucoup de jeunes sont confrontés à d’autres manières de faire qui les font réagir ».


Au final, de cette expérience humaine aux multiples facettes dont quelques-unes des limites de la duplicabilité viennent d’être évoquées, peut être retenu un formidable message de l’univers des possibles tant sur la forme que sur le fond, malgré un contexte de remise en cause fondamentale de l’identité belge, de tensions communautaires extrêmes que les acteurs acceptent et que les gens reconnaissent. Et cela avec un paradoxe évident d’un projet artistique, culturel, urbain, économique et humain touchant les questions d’identité, de rencontre, de partage, et qui ne cesse de grandir et de se transformer, tout en étant entouré – comme cela a été présenté en introduction - par des dynamiques exactement inverses et simultanées de repli sur soi, ou de glorification d’événements historiques partageant les communautés ou de tendance à l’homogénéisation culturelle.

Si nous n’avons pas la prétention de vouloir affirmer l’idée de transfert d’une telle démarche de projet, tant il serait prétentieux de vouloir imposer des cas pratiques du Nord au Sud, gageons que cet échantillon puisse proposer quelques pistes d’action et de réflexion.

En attendant, le mot de la fin va aux Zinnekes qui, pour la parade 2010,

sont appelés à « se mettre à table »

C'est parti! Les créateurs peuvent rêver, les inventeurs peuvent imaginer, les rêveurs peuvent créer, l'imaginaire collectif peut inventer…

We zijn vertrokken! Makers mogen dromen, uitvinders mogen verbeelden, dromers kunnen creëren, de collectieve verbeelding slaat op hol...

[1] Dans le contexte bruxellois bilingue, il est intéressant de noter que la rencontre avec Myriam Stoffen s’est déroulée en français du fait que les interviewers – Adrien Tomarchio, Florent Le Duc et Bertrand Wert - ne maîtrisent pas le néerlandais.

[2] Époque de la modernité politique que l’on fait généralement débuter avec le traité de Westphalie de 1648 qui partagea l’Europe en Etats suite aux Guerres de religion.

[3] L’arc européen le plus densément peuplé, autrement baptisé « banane bleue » par le géographe Roger Brunet, qui couvre l’Angleterre, le bassin Rhin-Meuse et lémanique, pour se terminer par la plaine du Pô.

[4] 6500 habitants au km².

[5] Voir sur le cas bruxellois l’article de Van Criekingen Mathieu (2006), « Que deviennent les quartiers centraux à Bruxelles ? Des migrations sélectives au départ des quartiers bruxellois en voie de gentrification », in, Brussels Studies, numéro 1, 12 décembre 2006, disponible en ligne : www.brusselsstudies.be L’auteur définit le processus de gentrification comme suit : « somme d’évolutions par lesquelles des espaces populaires se voient (ré)appropriés par et pour des groupes socialement plus favorisés que leurs habitants ou leurs usagers préalables. Ces évolutions sont indissociables de pressions exercées sur le tissu social en place, tantôt de manière directe et abrupte (éviction de locataires par suite de la revalorisation foncière d’un quartier, par exemple), tantôt plus subtilement (à la faveur, par exemple, de l’évolution des normes d’utilisation de l’espace public négociées à l’échelle d’un quartier ou du changement des priorités politiques envisagées pour celui-ci). Autrement dit, la gentrification implique à la fois une réappropriation (pour certains) et une désappropriation (pour d’autres) de l’espace urbain à l’échelle des quartiers ».

[6] Voir les quartiers Princesse Élisabeth (commune de Schaerbeek), Conseil (commune d'Anderlecht), Malibran (commune d’Ixelles), et Escaut-Meuse (commune de Molenbeek) ; quartiers par ailleurs bénéficières du programme de « contrats de quartiers » dédié à la revitalisation urbaine de la région Bruxelles-capitale.

[7] La Senne ou Zenne en flamand – d’où une certaine analogie avec la Zinneke parade -, est la rivière qui coule en région bruxelloise et qui reliait anciennement Bruxelles aux canaux menant à la Mer du Nord. A noter qu’un « Zinneke » signifie aussi en brusseleer un chien bâtard ou encore un petit enfant habitant les bords de la Zenne.

[8] Source : le DVD bilan de la Zinneke 2008 disponible sur demande en ligne www.zinneke.org

[9] Voir Van Parijs Philippe (2007) « Bruxelles capitale de l’Europe: les nouveaux défis linguistiques », in, Brussels Studies, numéro 6, 3 mai 2007 : « Dans toutes les provinces flamandes et wallonnes, les « Belges de souche » dépassent les 80%, alors qu’à Bruxelles ils ne sont plus que 44%. Les résidents d’origine non-européenne n’atteignent 10% dans aucune province, alors qu’ils forment le tiers de la population bruxelloise. Sous ce rapport, la Flandre et la Wallonie se ressemblent, mais Bruxelles c’est de moins en moins la Belgique, avec une population toujours plus diverse, à la fois plus multilingue que le reste du pays, mais aussi moins bilingue au sens belge que la moitié des provinces. (…) L’anglais est devenu la deuxième langue en Wallonie mais aussi à Bruxelles, alors que le français reste de justesse la deuxième langue en Flandre ».

[10] Une ASBL est une association à but non lucratif.

[11] Par pré-politique, il faut comprendre les identités traditionnelles telles que celles de la filiation (la famille…), du groupe culturel, ethnique ou géographique (le village…) dont découlent les solidarités mécaniques qui, comme Emile Durkheim l’a présenté, se distinguent des solidarités organiques impliquant le rôle d’institutions sociales de redistribution. Pour aller plus loin voir : Zoll Rainer (2004), « Le défi de la solidarité organique. Avons-nous besoin de nouvelles institutions pour préserver la cohésion sociale ? », in Revue du MAUSS, n°18, 2001/2, pp.105-118 ou Durkheim Emile, De la division du travail social, Paris, éd. PUF, coll. Quadrige, 416 p.

[12] Pour les chiffres démographiques et sociogéographiques sur Bruxelles, voir l’article de Patrick Deboosere, Thierry Eggerickx, Etienne Van Hecke et Benjamin Wayens (2009), « La population bruxelloise : un éclairage démographique », in, Brussels Studies, Note de synthèse n°3, 12 janvier 2009, disponible en ligne : www.brusselsstudies.be

[13] Notion de la modernité renvoyant à la rationalité et à la logique gouvernant le monde.

[14] Pour plus de détails voir : http://zinneke.org/2010/theme_2010/

[15] En termes d’évaluation, on parle d’évaluation ex-ante pour une étape d’évaluation avant le démarrage du projet – celle qui habituellement défini les indicateurs -, d’évaluation au fil du projet pour ce qui est de l’évaluation pendant le développement du projet, et d’une évaluation ex-post une fois le projet ou l’action achevé.

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