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Attentats de Bruxelles : du "jour d’avant" au "jour d’après". Rage, recueillemen

Insomnie, "tête à l'envers", écouter et parler avec les enfants, faire le tour des amis et de presque tous les collègues dont on sait, on imagine que certains « y étaient ». Et puis on attend la terrible liste des victimes. On rumine et s'inquiète.

Pendant les premières heures, celles de "l'attaque", entre 8h10 - où je l'apprends en même temps que ma fille de 8 ans - et 11h00, où on a commencé à comprendre que c'était fini, ce sont les tripes qui ont parlé en premier. Pas une émotion à faire pleurer, mais plutôt la rage du "on s'y attendait", "ils l'ont refait".

A 8h40 après nos 10 minutes quotidiennes de vélo, où on est encore plus énervé que d'habitude par ce trafic qui dégueule toujours plus de voitures, j'ai laissé les enfants à l'école en me plaignant - mon côté français certainement - que les portes ne s'ouvraient pas assez vite alors que la "très professionnelle surveillante était occupée ailleurs laissant les parents entrer et sortir sans contrôle - elle venait en fait d'apprendre l'horreur et se renseignait sur les consignes à suivre -. On rassure encore une fois comme on peut les enfants, on leur redit qu'on les aime, on les embrasse et on les quitte avec les encouragements bienveillants quotidiens.

Une fois qu'ils sont en sécurité, sur le trottoir, j'ai un drôle de sentiment, entouré des mamans dont la plupart sont voilées - cette école est une institution à "discrimination positive" où la famille européenne que l'on est, représente une toute petite minorité -, qui parlent un mélange de français et d'arabe dialectal et que je salue, et avec qui je parle pourtant tous les matins, leurs enfants et mes enfants sont amis, mais là je n'ai plus envie de leur sourire. Mes pensées se troublent et je doute pour quelques secondes, de trop longues secondes. La rage m'empêche de penser. Ces sentiments me font honte, m'enragent encore plus.

Mais non, je refuse cet instinct, ce doute, ce réflexe "animal" qu'on a tous expérimenté je pense, et qui nous invite à de raccourcis simplificateurs, au repli sur soi et à la méfiance vis-à-vis de ce que l'on connait mal, de ce qui nous semble différent, et pourtant... Le "souffle de la raison", ce besoin et cette envie de connaître et de éfléchir, me reviennent.

Puis c'est l'inquiétude qui nous envahit. L'inquiétude, la peur pour les collègues, les amis qui voyageaient ou qui travaillent ce matin-là à l'aéroport. J'essaie de les avertir, de les joindre, j'attends qu'ils me rappellent ou me préviennent par SMS. Mais rien, ils tardent. Sur le quai du métro, je retrouve une autre collègue. On partage nos craintes et on passe à la station "Arts Loi" vers 9h10, en remarquant la forte présence de militaires sans savoir alors qu'à une station de métro, à Maelbeek, ça vient juste de sauter...

Arrivé au bureau, alors que réseau de téléphone portable est saturé, on se rive sur les nouvelles, les réseaux sociaux, on tourne en rond, on gueule, se fait mal à taper dans la porte du bureau. Et puis vite on se dit que ça ne sert à rien. Il faut que la tête recommence à fonctionner. Elle doit fonctionner comme pour celles et ceux qui arrivent déjà à lire, parler, dessiner ou écrire.

Le jour d’après…

Pour ma part, la ligne est claire : primo, les mesures de sécurité pour lutter contre la gangrène du terrorisme, installé pour longtemps, et pour rassurer nos démocraties sont certes essentielles, mais pas que... La très coûteuse technologie peut aider mais ce sont avant tout les moyens humains qui comptent. Des moyens financiers ont été engagés en France, en Belgique et en Europe, mais les faits parlent d'eux-mêmes, les attentats continuent, les terroristes s'adaptent, contournent les dispositifs technologiques, fatiguent nos forces de l'ordre, épuisent une justice sous dotée, se jouent de la limitation de nos libertés et continuent à laver des cerveaux pour recruter.

Secundo, ces mesures "sécuritaires" apparaissent comme n'étant qu'une partie, certainement la plus ténue sur le long terme, de la réponse que nous devons apporter. Et là, les faits parlent aussi d'eux-mêmes : où sont les moyens financiers exceptionnels dédiés à la PREVENTION pour lutter contre le feu du djihadisme armé ; pour le comprendre et l’étudier ? Où sont les discours politiques de nos leaders français, belges et européens qui appellent à engager des budgets supplémentaires pour la compréhension, et la prévention de terrain dans nos quartiers les plus pauvres, dans nos écoles, dans nos prisons ? Où sont les moyens structurels et de long terme pour nos villes et nos communes annuellement sous dôtées pour l'amènagement urbain, la vie de quartier, l'éducation, la recherche, les arts et la culture ? Résultat c'est avec des bouts de ficelles que les enseignants, les éducateurs, les psys, les associations et asbl. continuent de fonctionner pour "faire toujours plus avec toujours moins".

Place de la Bourse à Bruxelles

(crédit photo Ismaël Saidi)

Tertio, la dimension européenne, binationale ou franco-belge parle d'elle-même après tous ces attentats. Chez vous c'est chez nous, ici c'est là-bas, et ce n'est pas le fantasme de la fermeture des frontières qui changera quoi que ce soit. Nos problèmes sont les vôtres, et les vôtres sont les nôtres. Ces jeunes sont d'ici, de là ou de là-bas, mais au final ils sont de chez nous. On les a croisés un jour, peut-être, il y a longtemps, dans une école, un stade ou en rue ; et puis...

De France, de Belgique ou d'Europe, ou tout à la fois, nous ne faisons qu'un, bien que certains essaient encore de constitutionnaliser et de discriminer cette évidence, cette normalité, ce choix, cette richesse et cette liberté. Mais si nous partageons ces "problèmes", ces "enjeux", leurs réponses ne sont pas adaptées à nos institutions nationales et à leur mode de travail et de financement. Alors qu'il faudrait que nous échangions nos bonnes idées, nos dispositifs, nos pratiques, les budgets ne sont pas là, et c'est toujours seulement à l'échelle locale, régionale et nationale qu'ils sont envisagés. Pourtant on l'a vu, les frontières n'ont plus de sens. Les réseaux sociaux pour le meilleur et pour le pire sont trans-locaux, trans-régionaux, trans-nationaux, et pour le moins européens. En ce sens la relecture des travaux de la sociologue Saskia Sassen va devoir s'imposer - elle vient d'ailleurs de publier un nouvel ouvrage en français http://www.liberation.fr/debats/2016/02/05/saskia-sassen-notre-systeme-economique-n-incorpore-plus-mais-expulse_1431332).

Alors il est certain que les éducs de Molenbeek pourraient apprendre des éducs de Saint-Denis et inversement. Il est certain que travailler avec les jeunes de Vénissieux et de Saint-Josse-Ten-Noode, provoquer des rencontres dans des lieux symboliques, les confronter à des, à leurs, histoires communes, les aider à se former ensemble, ça pourrait les prémunir de certaines tentations, éveiller leur sens critique et leur ouvrir des horizons. Il est certain que d'utiliser la culture et les arts pour porter un message de tolérance et de rencontre de l'autre, comme par exemple la pièce "Djihad" d'Ismael Saidi, qui n'a toujours pas tourné à Lyon, en France, du fait de "l'Etat d'urgence", pourrait aider.

De cela je peux en parler en connaissance de cause, avec le tout petit travail - goutte d'eau dans l'océan - fait au nom de la Maison d'Izieu en Belgique, avec ses partenaires comme l'AMS, le MRAX, la Fondation Auschwitz, et les institutions franco-belges (Consulat/Ambassade), notre député du Benelux et certains élu(e)s belges, les conseillers consulaires, les lycées français de Belgique, des écoles de Schaerbeek, qui nous soutiennent comme ils le peuvent, mais sans le sou. Aucun budget idoine, c'est la débrouille...

Le jour d’avant...

Alors après tout ça, remettons nous au boulot, comme lors de cette réunion de lundi, "le jour d'avant", au Consulat de France en présence des conseillers consulaires français (ils sont tous associés, représentant tous les partis républicains français), de l'AMS, du député du Benelux et de la Maison d'Izieu, mémorial des enfants juifs exterminés - continuons à travailler avec nos fonds de tiroirs, et pour celles et ceux qui ont le moyen de décider les budgets, de définir les programmes belgo-français et européens sachez qu'il y a des pistes d'actions et des professionnels de l'éducation, de la culture, des arts, des témoins, des "retournees" (dont le témoignage est inestimable e.g. Mourad Benchellali), et de la prévention prêts à s'engager, ils n'attendent que vous!

En attendant, on pense, on se rassure, on se receuille, on fait front comme ce jour avec les collègues du Conseil communal d'Ixelles devant la Maison Communale pour une minute de silence pour les victimes et leurs familles.

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